Un visage impassible. Une jeune femme regarde son enfant avec une froideur qui donnait des sueurs aux infirmières. Elle le fixe un petit moment avant de rejeter sa tête en arrière contre son oreiller pour observer l'extérieur du bâtiment. Une infirmière qui n'avait pas la trentaine s'approchait donc du lit de la patiente avec douceur, elle regarda le poupon endormie avant de s'adresser à la dame. Ne voulait-elle pas le serrer dans ces bras ? Le toucher ? Le câliner ? C'était une réaction plutôt normale, non ?
« Non. »
Elle fit un geste las de la main pour inviter l’employée sous le choc à sortir rapidement de cette pièce. La demoiselle quitta rapidement la chambre en regardant le petit être dormir. Elle expliqua la situation aux autres femmes travaillant dans l'hôpital. Elles jetèrent un œil à cette mère n'accordant aucun regard à son propre fils. Leurs visages exprimant l'incompréhension mais aussi, de la colère. Un prénom. Elle n'en n'avait pas donné à l'enfant. Elles furent bousculer par des hommes qui entrèrent sans autorisation, un prit l'enfant dans ces bras doucement, deux autres calmèrent les infirmières en leur montrant quelque chose. Elles se turent rapidement. Le visage sombre. Le gouvernement et leur maladie. Un homme d'une carrure massive observa la génitrice qui ne réagit même pas quand on lui prit son marmot. Il demanda avec douceur le nom du bébé.
« Rei. »
L'homme s'inclina avant de prendre la tête du petit groupe, accompagné du nourrisson cette fois-ci. La femme n'eut aucune attention pour celui qui était sorti de son ventre. Elle contempla le ciel sans rien dire.
« Nee maman... Toi aussi, tu étais malheureuse ? »
Orphelinat de Nagoya. Il n'avait pas trois jours qu'il était déjà là-bas. Il grandit doucement ne montrant aucune particularité. Rei était du genre timide, il n'allait jamais vers les autres bambins. Il continua de grandir, sans rien savoir du monde extérieur. Il connaissait juste les murs froids du pensionnat, les sombres cris que l'on pouvait entendre entre les parois et, les canalisations des bâtiments lui donnaient des cauchemars. Et si la nuit il n'était pas perturbé par les hurlements d'enfants, la journée il était persécuté par les autres. Rapidement les autres enfants comprirent qu'il était une cible idéale. Pas du genre à se défendre mais plutôt à subir. Il n'avait pas cinq ans que les autres l'avaient dans le collimateur. Ils se jetaient pratiquement sur lui en le menaçant de lui faire mal s'il ne leur donnait pas son goûter. Et Rei, n'ayant pas une âme de combattant, il leur céder en tremblant comme une feuille. On le poussait à terre, on riait de lui avant de s'enfuir avec son quatre-heures. Et lui il mourrait de fin jusqu'au soir. Et s'il n'avait pas de chance, il ne mangeait pas plus au souper car d'autres venaient le persécuter pour avoir son dîner. La loi du plus fort pas vrai ? Mais les animaux qui régnaient en maître ici, c'était bien les adultes. Ces êtres immondes. Il voyait approcher ces gens de lui vicieusement avant de le trainer dans les sous-sols de l'orphelinat.
Il se débattait toujours un petit peu, une petite minute ou deux. Mais il était tellement frêle que ces coups ne faisaient rien à celui qui était chargé de l'emmener. Pourquoi ? Il pleurait à chaudes larmes quand on le trainait dans les entrailles du bâtiment. Pleurer. Il était seulement capable de faire ça pour le moment. La proie facile. Un enfant n'ayant pas de caractère. Mais qui pleurait sur son sort. Il avait mal. Tellement mal. Il ne voulait plus retourner en bas.
La journée, il ressemblait à une âme en peine. Un bambin sans vie. Qui ne se débattait même plus quand on lui demandait son repas ou quand on le battait pour le plaisir. Finalement... Ils étaient comme lui ces enfants. Ils avaient peur des adultes. Ils ne comprenaient pas pourquoi toutes ces tortures. Alors ils se vengeaient sur celui qui ne leur ferait pas peur.
Le soir il retournait en bas. Il pleurait silencieusement. Parfois crier quand c’était vraiment douloureux. Un soir quand il fut ramené dans sa chambre, on le poussa sans ménagement sur son lit. Il ne réagit presque pas. L'homme le regarda avant de dire, une phrase qui le marqua:
« Rei... Tu parles d'un prénom qui te convient ! Tu n'aurais pas dû naître si c'est pour être comme ça. »
La porte se referma violemment. Les yeux bien ouverts, les sanglots coulèrent sur le matelas, sans un bruit. Il n'arrivait même plus à sangloter comme quelqu'un de normal. Il s'endormit pour quelques heures.
« Nee maman... Tu crois au Paradis ? Moi, je pense que l'Enfer existe. J'y suis. »
Il n'avait pas onze ans, Rei était de plus en plus plonger dans son silence. On ne lui décrochait plus un mot. Il donnait sans protester ce que voulaient les autres enfants de lui. Quelque part, Rei leur faisait un peu peur. Pour eux, il ne ressemblait même plus à un humain. Ces gestes étaient lents, sans dynamisme. Chaque pas était une douleur. Chaque mot était une horreur. Chaque geste était une souffrance permanente pour lui. Se cachant toujours sous des t-shirt à manche longue ou des pulls même en été, pour certain, il était complètement taré. Donc on l'évitait. Il vous évitait. On lui parlait, il ne répondait pas. Sauf quelques élèves qui étaient très doux, eux aussi sûrement très seuls. Ils aimaient bien parler avec lui. C'était les seuls moments, où Rei apparaissait comme un enfant vivant. Et même s'il ne l'avait jamais dit, il aimait être avec eux. Il oubliait un peu... Juste quelques instants son enfer avec eux.
Et puis. Il y a eu ce fameux soir. On ne l'avait pas gâté. Trop longtemps qu'il n'y avait pas eu de réaction chez lui. Peut-être couvrait-il son double ? Lui ne savait même pas pourquoi il subissait tout ça. Mais il ne se demandait même plus les raisons maintenant. Et n'espérait même pas que ça s'arrête. Parfois il sentait un peu de courage s'insinuer en lui. Il ne savait pas d'où cela venait. Mais il s'en servait pour survivre. Car il ne vivait plus. Il subsistait depuis longtemps.
Écroulé au sol, il souffrait. Son bras droit... Il voulait qu'on lui arrache. Ça faisait si mal. Il voulait mourir. Vous imaginez penser cela à dix ans ? Il voulait que ça se stoppe. Il n'en pouvait plus. Il glissait sur une pente interminable. On le tuerait un jour ou l'autre. Alors pourquoi ne pas abréger ses souffrances lui-même ? L'idée devint plaisante.
Il espérait seul. Non il n'espérait même plus. Il voulait que ces yeux se ferment, pour ne plus jamais s'ouvrirent. Il gémissait, au contact froid du sol et l'interminable sentiment de solitude qui ne le quittait jamais. Ils revenaient... Ils allaient le tuer. Pourtant, il ne sentit aucune agression. Il se figea quand il vit un jeune garçon de son âge au-dessus de lui, se tenant son bras droit comme s'il le faisait souffrir atrocement. Il ne fallut pas beaucoup à Rei pour enfin comprendre. Il avait l'impression de connaître cette personne. C'était un enfant de l'orphelinat oui mais... Il ressentait comme... Si ça avait toujours été ainsi. Alors... C'est ça, un Sôseiji ?
Pour la première fois, quelqu'un pleura pour lui. Et pour la première fois depuis longtemps, le petit garçon pleura en union avec quelqu'un, en ressentant quelque chose. C'était à la fois douloureux mais aussi un bonheur. Il l'avait trouvé. Rei sentit son cœur battre fort depuis longtemps quand il fut contre Ryûnosuke. Long prénom certes mais il signifiait tellement de chose maintenant pour le pauvre Rei. Il subissait des atrocités depuis longtemps... Et Ryû le ressentait. Il s'en voulait. Terriblement. Il n'était pas assez fort pour le protéger un peu... Juste un tout petit peu. Il pleura davantage en écoutant les promesses de sa moitié. Il lui faisait confiance.
Chaque soir, la torture recommençait. Ce qui le faisait maintenant souffrir, c'était qu'il savait que son double ressentait tout lui aussi. Mais il tenait bon. Il tenait bon pour Ryû. Il ne fallait pas qu'ils soient découverts. Des années cette attente dura. Ne pouvaient-ils pas les laisser maintenant ? Mais le plus impulsif craqua. Il n'en pouvait plus. Rei en pleurait quand il le sentait s'approcher. Ils avaient quinze ans. Trop tard.
« Nee maman... As-tu eu quelqu'un pour te protéger ? »
Ils arrivèrent sur cette île. L'ambiance était la même qu'à l'orphelinat. Mais maintenant, Ryû pouvait le protéger. Ils pouvaient se soutenir. Il adoptait un peu le même caractère, il n'allait pas vers les gens et avait une peur bleue qu'on le touche. Mais ce n'était pas grave. Son ami était là. Dès qu'il angoissait, il essayait de se calmer en pensant à son Sôseiji. Le seul capable de le rassurer, de prendre soins de lui. Pardon Ryû, il était faible. Mais il se jura à lui-même de faire tout ce qu'il pouvait pour alléger un peu le poids qu'il était. Et puis... Le Joker s'en mêla.
Quand un valet toqua à sa porte, les battements de cœur de Rei et même ceux de Ryû s'accélèrent ensemble. Quoi ? Il resta quelques minutes sans rien dire une fois que le valet fut partie... Lui ? Un As ? Il venait d'être nommé As de Pique. Son surnom était : Zéro. Le Joker avait un humour vraiment bien à lui. Quand il comprit enfin ce qu'un As était, il s'effondra en larme à terre. Comment allait-il annonçait cela à Ryû ? Il allait le détester... Quand sa moitié le retrouva au sol, il mit quelques minutes à se calmer. Il laissa l'autre parler d'abord. Ils étaient As. Tous les deux. Ils n'avaient pas le droit de ce voir. Est-ce que... Ryû allait obéir ? Il se traita d'imbécile quand il se rappela de la promesse de son jumeau. Non. Jamais il ne le laisserait tout seul.
Des missions ? Quelques-unes. Pas mal d'avertissements à donner à des gens. Il dû mettre deux ou trois personnes en prison aussi pour une raison qu'il ignorait. Mais il pliait l'échine. Il ne cherchait surtout pas à savoir. Tant qu'on lui demandait ça. Juste ça.
Pendant une période, il sentit bien que Ryû n'allait pas bien. Et le problème, c'est que Rei ne savait pas pourquoi. Ça le torturait. Mais il répondait avec douceur à ses sourires quand ils se voyaient. Il ne voulait embêter Ryû avec ces questions débiles. Un jour peut-être...
Maintenant, il vit avec son statut d'As. Voyant souvent clandestinement son jumeau avec un plaisir partagé. Il ignorait les rumeurs sur Ryû, un des As les plus effrayants. Ils mentaient. Il connaissait Ryû. Ce n'était pas quelqu'un d'abominable. Et il contredisait intérieurement ses dires. Pas publiquement bien sûr. Ils ne se côtoient pas normalement entre As.
Rei se fit sa place dans le cercle des Cartes. Le Roi de Pique semblait ne pas le tenir dans son cœur sûrement à cause de son caractère effacé et faible, la Dame de Pique lui donnait la chair de poule... Et le Valet était un ami. Il est au courant pour lui et son jumeau, As de Carreau. Et il le protège. Pour ça, il lui en est très reconnaissant.
Maintenant avec un allié, peut-être pouvaient-ils tous s'en sortir. Il n'en voulait pas au Joker. Au fond... Peut-être que ce dernier était juste très seul ? Mais lui non. Et il ne tomberait pas dans la même folie que lui.
« Nee Ryû...Le bonheur, ça existe pas vrai ? »